Bienheureux Père Marie-Eugène de l'Enfant-Jésus
Sa vie
Henri Grialou est né le 2 décembre 1894 au Gua , petite ville d'un bassin minier d'Aveyron. Il est le troisième enfant d'une famille très tôt éprouvée par le décès du père : il a alors 10 ans. Grâce aux sacrifices de sa mère, il peut faire des études pour devenir prêtre. Après un temps chez les spiritains en Italie (Suse), il entre au petit séminaire de Graves en Aveyron, puis au grand séminaire de Rodez. Comme tous les jeunes de son époque, il doit subir l'épreuve de la terrible guerre de 14-18, qu'il arrive à traverser grâce à la protection de sainte Thérèse de Lisieux. De retour au séminaire, il est ordonné prêtre le 4 février 1922 pour le diocèse de Rodez.
Cependant, le 13 décembre 1920, il avait découvert saint Jean de la Croix et il se sent depuis appelé au Carmel. Il y entre le 22 février 1922, juste après son ordination, malgré de grandes oppositions. Le noviciat est pour lui riche en grâces : découverte de la voie d'enfance de la petite Thérèse, fiançailles spirituelles et expérience de l'Esprit Saint, entrevue de sa double mission de diffusion de l'enseignement de Thérèse de Lisieux dans le monde et d'unité de l'ordre du Carmel.
Il serait trop long de développer ici toutes les charges qu'il assume après au cours de sa vie : responsable de revue spirituelle, prédicateur de retraites, enseignant de cours d'oraison, provincial de nombreuses fois, conseiller pendant plusieurs années à Rome et même un an supérieur de tout l'ordre du Carmel, visiteur apostolique de tous les carmels féminins de France et initiateur des Fédérations de carmélites, promoteur de la publication exhaustive des textes originaux de Thérèse, auteur de Je veux voir Dieu ouvrage de référence en spiritualité, fondateur de l'institut séculier Notre-Dame de Vie... Il meurt à Venasque, auprès du sanctuaire de ND de Vie le 27 mars 1967. Il a été déclaré bienheureux le 19 novembre 2016.
Ses responsabilités au sein du Carmel ne le rendent pas indifférent pour autant au clergé diocésain. Par exemple, en 1944, il donne quelques prédications en tandem avec un prêtre dans une paroisse pour honorer le passage de la statue pèlerine de ND de France. Plusieurs années à la fin de sa vie, il prêche des retraites sacerdotales. Sa fondation, l'institut ND de Vie, comporte une branche de prêtres. Le P. Marie-Eugène est soucieux de soutenir la vie spirituelle des prêtres, notamment par la doctrine des saints du Carmel.
Deux textes sur le sacerdoce
"Tout prêtre a besoin de faire une période de solitude"
Ce premier texte s'adresse à tous les prêtres et séminaristes, en insistant sur la nécessité d'une solide formation spirituelle pour exercer le ministère.
"Le Christ Jésus, inaugurant sa vie publique par le baptême de Jean-Baptiste, a reçu immédiatement l'Esprit Saint.
Le Christ Jésus, ayant conféré à ses apôtres le sacerdoce et leur mission, leur a recommandé instamment de ne pas quitter Jérusalem pour les exercer avant d'avoir reçu l'Esprit Saint.
Le Saint-Esprit, descendant sur les apôtres le jour de la Pentecôte, devient l'âme de l'Eglise et l'âme de nos âmes.
L'apôtre Paul, transformé par sa conversion sur le chemin de Damas, est parti trois ans au désert pour réaliser sa grâce et accorder son âme à l'Esprit nouveau qu'il avait reçu.
Tout prêtre, avant ou après avoir reçu son sacerdoce, a besoin de faire une période de solitude pour réaliser la présence vivante et agissante de l'Esprit Saint dans l'Eglise et dans son âme et pour apprendre à accorder, dans la docilité, son action à celle de l'Esprit Saint. Il doit ensuite prendre toutes les dispositions pour parfaire cette docilité."
Texte dicté par le P. Marie-Eugène de l'E.J. le 20 février 1965, jour, très malade, il crut mourir. Publié dans : Père Marie-Eugène de l'Enfant-Jésus, "Je veux demander pour vous l'Esprit Saint", Ed. du Carmel, 1992, p. 70.
Voir aussi dans "Je veux voir Dieu" le dernier chapitre, p. 1053ss.
Souffrances dans le ministère, purifications spirituelles et nuits
Le P. Marie-Eugène connaît bien les difficultés du ministère sacerdotal, pour les avoir vécues lui-même, et pour avoir accompagné spirituellement plusieurs prêtres. Pour lui, elles ne sont pas sans lien avec les purifications que saint Jean de la Croix notamment décrit pour l'oraison. Alors que certaines épreuves pourraient paraître décourageantes, jusqu'à ébranler une vocation, le P. Marie-Eugène invite au contraire à savoir discerner, dans certaines d'entre elles, une nuit spirituelle, purificatrice et rédemprice. Face à certaines situations, ce texte peut redonner un sens et ouvrir une espérance.
"[...] Cela pourra se doubler, surtout pour les prêtres, de tentations. Si nous sommes véritablement prêtres, nous serons, comme le Christ Jésus, des agneaux qui portent le péché du monde. Cette perspective ne doit pas être exclue et il me semble qu’elle est normale, dans la vie du prêtre qui est un autre Christ. Quels péchés ? Tous les péchés, je ne dis pas les uns après les autres, mais enfin tous les péchés : péché du sens, péché de la sexualité, en sentant douloureusement la tentation, en souffrant de ce péché que nous voyons et avec lequel nous prenons des contacts intimes au confessionnal ; en souffrant de l’athéisme des gens et de leur indifférence. Tout le monde ne porte pas tous les péchés mais il est presque normal, si nous sommes fidèles, qu’ils viennent s’inscrire dans notre vie, plus spécialement tel péché qui se rattache la plupart du temps à une tendance plus vive et qui semble ressusciter à cette heure ; péché de l’intelligence, que sais-je ?... qui prend des formes spécialement douloureuses. Regardez sainte Thérèse de l’Enfant Jésus avec ses tentations contre la foi ! Elle même en avait vu le sens : je mange le pain noir des pécheurs, disait-elle, le pain noir de l’athéisme moderne (*). Si son Histoire d’une Âme est si lumineuse et a donné tant de lumière à tant de monde, aux intellectuels comme aux autres, c’est en partie parce qu’elle avait mangé ce pain noir des pécheurs.
Cette contribution à la Rédemption par cette pauvreté spirituelle et en même temps par le péché que nous portons d’une façon ou d’une autre me paraît normale. Voyez le curé d’Ars qui voulait quitter sa paroisse et se disait un pauvre curé ! Purification ? Oui, mais, en même temps, souffrance rédemptrice. Ne distinguons pas. Dès que c’est douloureux, si notre âme est donnée, vouée aux âmes, cela devient immédiatement rédempteur, participation à la rédemption du Christ. S’il fallait attendre que notre attitude soit très pure pour nous unir à celle de Notre-Seigneur, il faudrait attendre la vie éternelle. Donc, à ce moment-là, c’est déjà rédempteur.
Il y a dans tout cela des perspectives que nous devons considérer pour notre vie spirituelle. Nous retrouvons notre rôle sacerdotal d’union au Christ. Le Christ est l’unique Prêtre. Nous sommes des prêtres délégués mais pas délégués seulement pour exercer les pouvoirs qu’il nous a donnés de consacrer et d’administrer les sacrements ; nous voulons plus que cela, nous voulons le sacerdoce plein et ce sacerdoce exige la prière et le sacrifice. Nous sentons l’inefficacité, j’allais presque dire foncière, de notre action sacerdotale, mais prenons-nous les moyens utilisés par le Christ ? N’établissons pas d’opposition entre la prière et la souffrance de Notre Seigneur à Gethsémani et la prédication. Ça se suit. Pourquoi faire ceci et ne pas faire cela ? Je crois que la prédication, le témoignage, l’action sacerdotale devraient être accompagnés de cette prière douloureuse, de cette pauvreté spirituelle qui est la pauvreté du pécheur."
Texte inédit, publié ici avec l'aimable autorisation de l'institut ND de Vie. Il s'agit de la retranscription d'un extrait de la 12e conférence de la Retraite Sacerdotale de l'été 1966.
On pourra approfondir ces questions dans "Je veux voir Dieu", p. 756ss.
(*) : Voir sainte Thérèse de Lisieux, Manuscrit C, 6r° : "Mais Seigneur, votre enfant l’a comprise votre divine lumière, elle vous demande pardon pour ses frères, elle accepte de manger aussi longtemps que vous le voudrez le pain de la douleur et ne veut point se lever de cette table remplie d’amertume où mangent les pauvres pécheurs avant le jour que vous avez marqué… Mais aussi ne peut-elle pas dire en son nom, au nom de ses frères : Ayez pitié de nous Seigneur, car nous sommes de pauvres pécheurs !… Oh ! Seigneur, renvoyez-nous justifiés… Que tous ceux qui ne sont point éclairés du lumineux flambeau de la Foi le voient luire enfin… ô Jésus, s’il faut que la table souillée par eux soit purifiée par une âme qui vous aime, je veux bien y manger seule le pain de l’épreuve jusqu’à ce qu’il vous plaise de m’introduire dans votre lumineux royaume. la seule grâce que je vous demande c’est de ne jamais vous offenser !…"